Homoparentalité : M. Hollande, ma fille a moins de droits que vos enfants. Expliquez-lui pourquoi
Taina Tervonen
Je me suis installée en France en 1995, par amour de ce pays. Je m’y suis installée aussi par amour pour une femme, citoyenne française. La France m’a accueillie à bras ouverts, grâce à mon passeport finlandais – non pas à cause de mon amour pour une citoyenne française. A l’époque, cet amour-là n’avait pas d’existence légale.
J’ai eu deux enfants avec ma compagne. Ils ont aujourd’hui 12 et 6 ans. Ils sont nés en France, y vivent depuis leur naissance et se considèrent comme français. Ils n’ont pourtant que la nationalité finlandaise, la France ne reconnaissant aucun lien légal entre eux et leur mère française.
« Les Français ne savent pas faire la PMA ? »
Mes enfants ont été conçus en Finlande, la France n’autorisant pas l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes. A l’âge de 4 ans, ma fille aînée, qui connaît l’histoire de sa venue au monde depuis très jeune, m’a demandé, dans le métro en rentrant de l’école :
« Mais pourquoi il a fallu aller jusqu’en Finlande ? Les médecins en France ne savent pas faire ça ? »
Je lui ai expliqué que si, les médecins français savent faire, mais qu’ils n’ont pas le droit. La loi dit qu’un médecin ne peut aider des parents à avoir un enfant que si l’enfant a un papa et une maman. Que ceux qui ont fait cette loi pensent que pour un enfant, c’est mieux d’avoir un papa et une maman.
Le mariage, l’adoption mais pas la parentalité
Le projet de loi ouvrant aux homosexuels le mariage et l’adoption doit être présenté en Conseil des ministres le 31 octobre. Jean-Marc Ayrault a précisé que le texte n’abordera pas « toute une série d’autres questions – l’autorité parentale, la PMA (procréation médicalement assistée), l’adoption conjointe pour les couples non mariés, le droit des tiers ». Sur ces sujets, il a renvoyé « à une loi complémentaire qui pourrait être une loi sur la famille ». Rue89
Ma fille ne m’a plus posé de question. Moi, je lui ai expliqué que la loi est faite par des députés, que les députés sont des gens comme tout le monde, élus par tous les citoyens, et que souvent, ce qu’on ne connaît pas nous fait peur. Et que ces lois-là peuvent changer, et que d’ailleurs, elles sont différentes dans plusieurs autres pays. J’ai expliqué la démocratie, pour atténuer la réalité qu’elle venait de découvrir : selon la loi française, les enfants comme elle ne devraient pas exister.
Quelques mois plus tard, elle m’a demandé ce qu’est un juge. Je lui ai expliqué que c’est quelqu’un qui travaille au tribunal et qui décide de la punition quand on a fait quelque chose d’interdit par la loi, ou qui tranche quand des personnes n’arrivent pas à se mettre d’accord.
Juge, assistante sociale, pédopsychiatre...
Cet été-là, ma compagne et moi nous sommes pacsées. Notre fille était fière, elle était en âge des robes de princesse, des noces à la fin de l’histoire. Elle était heureuse, ce serait un jour de fête.
Nous lui avons expliqué qu’elle pourrait nous accompagner au tribunal. Elle a été perplexe. Je lui ai précisé que nous n’avions rien fait de mal, mais que pour un pacs, on doit aller au tribunal, pas à la mairie comme pour le mariage. C’est la loi qui le dit.
A l’automne de la même année, elle a rencontré une assistante sociale et un pédopsychiatre. Nous avions demandé, ma compagne et moi-même, une délégation d’autorité parentale avec exercice conjoint, pour pouvoir prendre ensemble les décisions officielles la concernant.
La justice avait débouté notre demande, et nous avions fait appel. La cour nous avait alors ordonné une enquête sociale et une expertise médico-psychologique. Nous avions déjà eu une enquête de police.
J’ai expliqué à ma fille qu’une dame viendrait à la maison voir comment nous vivions, et que nous irions ensuite à l’hôpital discuter avec un docteur. Mais que personne n’était malade, c’était simplement pour parler.
J’avoue que je n’ai pas eu le courage, ce jour-là, de lui expliquer que c’était un juge qui nous avait demandé cela.
Deux mamans depuis toujours
Quand ma fille a eu 6 ans, nous avons reçu la décision de justice, favorable. J’ai pleuré de soulagement en ouvrant la lettre. La procédure avait duré trois ans. Ma fille m’a vue et m’a demandé pourquoi je pleurais.
Alors il a bien fallu que je trouve les mots, cette fois-ci. Je lui ai expliqué que nous avions demandé à la justice de pouvoir décider pour elle, toutes les deux, parce qu’en France il faut demander cela à la justice quand on est deux mamans. Que la justice avait dit oui.
Son regard s’est fait songeur. J’avais l’impression de lui dire quelque chose de totalement absurde. Depuis qu’elle est venue au monde, elle a deux mamans qui décident pour elle. Qu’est-ce que la justice venait faire dans sa vie, une fois de plus ?
Le printemps suivant, c’était l’élection présidentielle. Ce printemps-là, nous avons beaucoup parlé de démocratie et de l’importance de voter. La mère française de ma fille a grandi en Iran et a vécu la dictature. Pour notre fille, voter n’a jamais été un choix, cela a toujours été un droit chèrement acquis qu’il est du devoir de chaque citoyen de protéger en l’exerçant.
« La démocratie, c’est dur quand on a perdu »
Et cette fois-ci, elle a compris qu’il y avait un enjeu qui la touchait directement : robe de demoiselle d’honneur ou... rien du tout. Elle a entendu monsieur Nicolas Sarkozy expliquer qu’une famille, c’est un père et une mère et des enfants. Elle a entendu madame Ségolène Royal promettre un mariage à ses mamans.
Alors, elle a tenu à battre le pavé. Ce soir de mai 2007, sa déception a été cuisante. Elle a donné son verdict : « C’est bien la démocratie, mais c’est dur quand on a perdu. »
Au printemps 2012, elle a suivi une nouvelle campagne. Elle avait 11 ans, et à 11 ans, la robe de princesse pour être demoiselle d’honneur, ce n’était plus vraiment d’actualité. Et puis elle avait arrêté de rêver au mariage de ses parents.
Quelques mois avant, ma compagne et moi, nous nous étions séparées. Comme tant d’autres enfants de sa classe, notre fille passait désormais une semaine chez un parent, puis une semaine chez l’autre. Un matin, en allant au collège, elle a esquissé un sourire ironique :
« Pour ça au moins, je suis comme les autres. »
Que des « mais » dans votre projet
Cette campagne de la présidentielle de 2012 n’avait plus des allures de conte de fées possible pour elle. Mais il y avait autre chose, un message qu’à 11 ans, on est en mesure d’entendre : celui d’un principe d’égalité pour tous les citoyens.
Alors, le soir du deuxième tour, elle était place de la Bastille avec un drapeau arc-en-ciel et un drapeau français, et elle était heureuse et fière d’être là.
Ce soir-là, monsieur le Président, vous lui avez promis l’égalité. Depuis, votre ministre de la Justice a évoqué un texte de loi :
•mariage, mais sans présomption de parenté ;
•mariage, mais sans accès à la procréation médicalement assistée ;
•mariage, mais procédure d’adoption pour les enfants à naître au sein du couple ;
•mariage, mais pas de reconnaissance de l’enfant en mairie pour les couples non-mariés ;
•mariage, mais aucune prise en compte des enfants déjà là, dont les parents sont désormais séparés.
Il n’y a que des « mais » dans ce texte. Que des « mais » qui viennent dire à ma fille, une fois de plus, que sa famille n’est pas la bonne, qu’elle-même ne devrait pas exister, et que dans son cas c’est la justice qui décide de qui est son parent ou pas.
Mes enfants moins protégés que les vôtres
Monsieur le Président, ma fille sait ce qu’est la discrimination inscrite dans la loi depuis l’âge de 4 ans. Vous, vous lui avez promis l’égalité. Ayez la dignité de vos promesses.
Ne lui donnez pas, à elle et à son frère, une nouvelle fois, un statut de citoyen de seconde zone. Donnez-leur ce que chaque enfant mérite : une famille reconnue par la loi. Comme celle que vous avez construite avec la mère de vos enfants avec qui vous n’avez jamais eu besoin de vous marier pour être père, comme celle qui continue d’exister pour vos enfants malgré votre séparation.
Et si l’égalité est un enjeu politique et juridique trop compliqué, ayez le courage d’expliquer à mes enfants pourquoi ils ne méritent pas la même protection que les vôtres. Moi, cela fait huit ans que j’explique. Désormais, c’est votre tour.
Taina Tervonen
Je me suis installée en France en 1995, par amour de ce pays. Je m’y suis installée aussi par amour pour une femme, citoyenne française. La France m’a accueillie à bras ouverts, grâce à mon passeport finlandais – non pas à cause de mon amour pour une citoyenne française. A l’époque, cet amour-là n’avait pas d’existence légale.
J’ai eu deux enfants avec ma compagne. Ils ont aujourd’hui 12 et 6 ans. Ils sont nés en France, y vivent depuis leur naissance et se considèrent comme français. Ils n’ont pourtant que la nationalité finlandaise, la France ne reconnaissant aucun lien légal entre eux et leur mère française.
« Les Français ne savent pas faire la PMA ? »
Mes enfants ont été conçus en Finlande, la France n’autorisant pas l’accès à la procréation médicalement assistée aux couples de femmes. A l’âge de 4 ans, ma fille aînée, qui connaît l’histoire de sa venue au monde depuis très jeune, m’a demandé, dans le métro en rentrant de l’école :
« Mais pourquoi il a fallu aller jusqu’en Finlande ? Les médecins en France ne savent pas faire ça ? »
Je lui ai expliqué que si, les médecins français savent faire, mais qu’ils n’ont pas le droit. La loi dit qu’un médecin ne peut aider des parents à avoir un enfant que si l’enfant a un papa et une maman. Que ceux qui ont fait cette loi pensent que pour un enfant, c’est mieux d’avoir un papa et une maman.
Le mariage, l’adoption mais pas la parentalité
Le projet de loi ouvrant aux homosexuels le mariage et l’adoption doit être présenté en Conseil des ministres le 31 octobre. Jean-Marc Ayrault a précisé que le texte n’abordera pas « toute une série d’autres questions – l’autorité parentale, la PMA (procréation médicalement assistée), l’adoption conjointe pour les couples non mariés, le droit des tiers ». Sur ces sujets, il a renvoyé « à une loi complémentaire qui pourrait être une loi sur la famille ». Rue89
Ma fille ne m’a plus posé de question. Moi, je lui ai expliqué que la loi est faite par des députés, que les députés sont des gens comme tout le monde, élus par tous les citoyens, et que souvent, ce qu’on ne connaît pas nous fait peur. Et que ces lois-là peuvent changer, et que d’ailleurs, elles sont différentes dans plusieurs autres pays. J’ai expliqué la démocratie, pour atténuer la réalité qu’elle venait de découvrir : selon la loi française, les enfants comme elle ne devraient pas exister.
Quelques mois plus tard, elle m’a demandé ce qu’est un juge. Je lui ai expliqué que c’est quelqu’un qui travaille au tribunal et qui décide de la punition quand on a fait quelque chose d’interdit par la loi, ou qui tranche quand des personnes n’arrivent pas à se mettre d’accord.
Juge, assistante sociale, pédopsychiatre...
Cet été-là, ma compagne et moi nous sommes pacsées. Notre fille était fière, elle était en âge des robes de princesse, des noces à la fin de l’histoire. Elle était heureuse, ce serait un jour de fête.
Nous lui avons expliqué qu’elle pourrait nous accompagner au tribunal. Elle a été perplexe. Je lui ai précisé que nous n’avions rien fait de mal, mais que pour un pacs, on doit aller au tribunal, pas à la mairie comme pour le mariage. C’est la loi qui le dit.
A l’automne de la même année, elle a rencontré une assistante sociale et un pédopsychiatre. Nous avions demandé, ma compagne et moi-même, une délégation d’autorité parentale avec exercice conjoint, pour pouvoir prendre ensemble les décisions officielles la concernant.
La justice avait débouté notre demande, et nous avions fait appel. La cour nous avait alors ordonné une enquête sociale et une expertise médico-psychologique. Nous avions déjà eu une enquête de police.
J’ai expliqué à ma fille qu’une dame viendrait à la maison voir comment nous vivions, et que nous irions ensuite à l’hôpital discuter avec un docteur. Mais que personne n’était malade, c’était simplement pour parler.
J’avoue que je n’ai pas eu le courage, ce jour-là, de lui expliquer que c’était un juge qui nous avait demandé cela.
Deux mamans depuis toujours
Quand ma fille a eu 6 ans, nous avons reçu la décision de justice, favorable. J’ai pleuré de soulagement en ouvrant la lettre. La procédure avait duré trois ans. Ma fille m’a vue et m’a demandé pourquoi je pleurais.
Alors il a bien fallu que je trouve les mots, cette fois-ci. Je lui ai expliqué que nous avions demandé à la justice de pouvoir décider pour elle, toutes les deux, parce qu’en France il faut demander cela à la justice quand on est deux mamans. Que la justice avait dit oui.
Son regard s’est fait songeur. J’avais l’impression de lui dire quelque chose de totalement absurde. Depuis qu’elle est venue au monde, elle a deux mamans qui décident pour elle. Qu’est-ce que la justice venait faire dans sa vie, une fois de plus ?
Le printemps suivant, c’était l’élection présidentielle. Ce printemps-là, nous avons beaucoup parlé de démocratie et de l’importance de voter. La mère française de ma fille a grandi en Iran et a vécu la dictature. Pour notre fille, voter n’a jamais été un choix, cela a toujours été un droit chèrement acquis qu’il est du devoir de chaque citoyen de protéger en l’exerçant.
« La démocratie, c’est dur quand on a perdu »
Et cette fois-ci, elle a compris qu’il y avait un enjeu qui la touchait directement : robe de demoiselle d’honneur ou... rien du tout. Elle a entendu monsieur Nicolas Sarkozy expliquer qu’une famille, c’est un père et une mère et des enfants. Elle a entendu madame Ségolène Royal promettre un mariage à ses mamans.
Alors, elle a tenu à battre le pavé. Ce soir de mai 2007, sa déception a été cuisante. Elle a donné son verdict : « C’est bien la démocratie, mais c’est dur quand on a perdu. »
Au printemps 2012, elle a suivi une nouvelle campagne. Elle avait 11 ans, et à 11 ans, la robe de princesse pour être demoiselle d’honneur, ce n’était plus vraiment d’actualité. Et puis elle avait arrêté de rêver au mariage de ses parents.
Quelques mois avant, ma compagne et moi, nous nous étions séparées. Comme tant d’autres enfants de sa classe, notre fille passait désormais une semaine chez un parent, puis une semaine chez l’autre. Un matin, en allant au collège, elle a esquissé un sourire ironique :
« Pour ça au moins, je suis comme les autres. »
Que des « mais » dans votre projet
Cette campagne de la présidentielle de 2012 n’avait plus des allures de conte de fées possible pour elle. Mais il y avait autre chose, un message qu’à 11 ans, on est en mesure d’entendre : celui d’un principe d’égalité pour tous les citoyens.
Alors, le soir du deuxième tour, elle était place de la Bastille avec un drapeau arc-en-ciel et un drapeau français, et elle était heureuse et fière d’être là.
Ce soir-là, monsieur le Président, vous lui avez promis l’égalité. Depuis, votre ministre de la Justice a évoqué un texte de loi :
•mariage, mais sans présomption de parenté ;
•mariage, mais sans accès à la procréation médicalement assistée ;
•mariage, mais procédure d’adoption pour les enfants à naître au sein du couple ;
•mariage, mais pas de reconnaissance de l’enfant en mairie pour les couples non-mariés ;
•mariage, mais aucune prise en compte des enfants déjà là, dont les parents sont désormais séparés.
Il n’y a que des « mais » dans ce texte. Que des « mais » qui viennent dire à ma fille, une fois de plus, que sa famille n’est pas la bonne, qu’elle-même ne devrait pas exister, et que dans son cas c’est la justice qui décide de qui est son parent ou pas.
Mes enfants moins protégés que les vôtres
Monsieur le Président, ma fille sait ce qu’est la discrimination inscrite dans la loi depuis l’âge de 4 ans. Vous, vous lui avez promis l’égalité. Ayez la dignité de vos promesses.
Ne lui donnez pas, à elle et à son frère, une nouvelle fois, un statut de citoyen de seconde zone. Donnez-leur ce que chaque enfant mérite : une famille reconnue par la loi. Comme celle que vous avez construite avec la mère de vos enfants avec qui vous n’avez jamais eu besoin de vous marier pour être père, comme celle qui continue d’exister pour vos enfants malgré votre séparation.
Et si l’égalité est un enjeu politique et juridique trop compliqué, ayez le courage d’expliquer à mes enfants pourquoi ils ne méritent pas la même protection que les vôtres. Moi, cela fait huit ans que j’explique. Désormais, c’est votre tour.
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